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Blog personnel d'Hervé Le Fiblec

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29 janvier 2016

L'image contrastée des syndicats en France

Commandée par Les Echos, l'étude Tns-Sofres publiée en janvier 2016 sur l'image des syndicats en France mérite une analyse plus fine que les gros titres que cet organe de la presse libérale lui a consacré.

Malgré l'usage des questions « fermées », ne laissant que quelques choix de réponse aux sondés, et le caractère très orienté des propositions faites, elle laisse cependant apparaître une vision au final très contrastée de la relation entre les salariés et les syndicats, sur fond de discrédit de l'Etat et de méfiance forte vis-à-vis du patronat.

 Ainsi, la confiance des salariés envers les syndicats pour défendre leurs intérêts reste à un niveau relativement élevé : 51 % d'entre eux expriment cette confiance. Si l'on compare avec les études précédentes, on constate que si, effectivement, cette confiance tend à reculer, c'est par rapport à un pic historique de 58 % exprimé en 2008. En effet, sur le long terme, l'expression de cette confiance n'a jamais été depuis 1982 supérieure à 50 % (à une exception près, début 1997).

L'étude de cette courbe de « confiance » montre d'ailleurs qu'elle est fortement tributaire de la conjoncture sociale. Ainsi, les inflexions positives de la courbe correspondent toujours à des périodes caractérisées par d'une part une offensive libérale marquée, souvent consécutive à une victoire électorale de la droite, et d'autre part un mouvement revendicatif fort, même s'il n'est pas toujours de nature identique. C'est le cas en décembre 1986 (+12 pts par rapport à l'étude précédente), février 1997 (+6 pts), mai 2008 (+9 pts), soit, respectivement, après le mouvement étudiant contre la Loi Devaquet, les suites de la mobilisation de novembre-décembre 1995 (dont les effets n'avaient pas été mesurées avant) et enfin le dernier grand mouvement unitaire contre l'austérité.

 Par ailleurs, cette confiance dans les syndicats est fortement conditionnée par la situation individuelle des sondés. Ainsi, et à rebours des discours souvent entendus dans les milieux syndicaux, c'est chez les salariés les plus âgés que la confiance dans les syndicats est la moins forte (46 %). Le différentiel entre hommes et femmes est aussi considérable (47 % - 57 %). Enfin, et c'est là aussi une leçon importante de cette étude, la présence syndicale dans l'entreprise est déterminante : la confiance n'est que de 44 % pour les salariés sans contact avec une organisation syndicale, alors qu'elle est de 11 pts supérieure lorsqu'il y a une activité syndicale sur leur lieu de travail.

 

Des syndicats largement méconnus

 L'étude fait en effet apparaître une méconnaissance, ou au moins un manque de contact entre les salariés et les organisations syndicales.

L'attitude générale des salariés reste en effet largement délégataire et marquée par le poids des élections professionnelles dans notre système social. Ainsi, si 65 % des salariés sondés affirment avoir déjà participé à l'élection de représentants du personnel, c'est la seule forme de « contact syndical » qui est majoritaire. Ils ne sont en effet que 42 % à avoir déjà conseillé à un collègue de s'adresser à un syndicat, à peine 39 % à avoir interrogé un syndicat pour obtenir des informations, et ce chiffre tombe à 27 % pour ce qui est de demander à être défendu ou représenté par un syndicaliste. Moins d'un tiers des sondés (30 %) affirme avoir déjà signé une pétition d'origine syndicale, et un quart seulement s'être syndiqué.

Il est donc assez clair que les salariés n'ont, dans leur majorité, qu'un contact très distant avec les syndicats, qui se limite le plus souvent à l'élection des représentants, phase de l'activité syndicale sans doute la moins représentative de son ensemble, et qui met plus l'accent sur la concurrence entre organisations que sur l'efficacité.

Il y a donc plus un problème de contact entre salariés et syndicats que réellement de confiance. Il est ainsi remarquable que le nombre de ceux qui n'ont jamais eu de contact direct avec un syndicat, mais n'excluent pas d'en avoir, est toujours très élevé : 55 % n'excluent pas de demander à être défendu par un délégué syndical, 42 % de signer une pétition.

Il n'y a que la syndicalisation qui semble représenter un réel obstacle, puisque 38 % des sondés indiquent avoir l'intention de ne jamais se syndiquer.

Reste que, pour les salariés, il y a une vraie aspiration à plus de contact avec les syndicats : 28 % estiment que la syndicalisation progresserait si les syndicats étaient plus à l'écoute, 26 % s'ils étaient plus présents, 21 % s'ils donnaient plus de conseils.

Formes et limites de l'individualisme

 Ce blocage à la syndicalisation semble traduire une forme certaine d'individualisme. Ainsi, la première raison avancée pour expliquer la faible syndicalisation en France est un refus global de s'engager (32 %). On retrouve un diagnostic du même genre dans l'adhésion forte (64 %) à l'idée que « les français n'aiment pas se syndiquer ».

D'une façon générale, d'ailleurs, les salariés estiment que le plus efficace dans la défense de leurs intérêts est la démarche individuelle en direction de la hiérarchie (51 %). S'adresser aux syndicats ne convainc que 21 % des salariés sondés, et se coordonner avec d'autres salariés 26 %. On remarquera que la distinction assez factice entre les deux dernières réponses proposées oriente assez largement l'ensemble de l'étude. Si on peut distinguer entre une démarche de coordination « libre » et le recours au syndicat plus institutionnalisé, il s'agit dans les deux cas de la recherche d'une approche collective du problème individuel, qui recueille tout de même 47 % des réponses.

Malgré des années de management « individualisé » visant à casser les solidarités professionnelles, l'individualisme n'est donc pas si marquant dans le salariat.

Il est d'ailleurs notable que parmi les reproches principaux faits aux syndicats, on retrouve le fait qu'ils ne s'occupent que de leurs adhérents (59 %), ce qui est totalement paradoxal avec la réticence à la syndicalisation. On retrouve peu ou prou la même chose dans le fait que les intérêts dont les salariés estiment que les syndicats se préoccupent le plus sont ceux des militants (79 %).

On retrouve dans l'image des syndicats une forme du poujadisme rampant qui associe défiance envers l'engagement dans des organisations, surestimation de leur influence et a priori sur un fonctionnement clanique.

Une aspiration à l'unité et à l'indépendance

 A cela s'ajoute une certaine illisibilité du paysage syndical. 63 % des salariés estiment ne pas voir très bien ce qui distingue les syndicats les uns des autres. Les analyses sur la « bipolarisation » du syndicalisme, sur l'accentuation des divergences entre organisations, etc... se limitent donc très largement à la sphère des militants syndicaux. Depuis 2005, ce taux n'a pas sensiblement varié, et a même augmenté.

On retrouve aussi l'idée qu'il y a trop de concurrence entre syndicats (68 %), et même qu'il y a trop de syndicats (56 %, en très nette progression par rapport aux études précédentes).

De même, on retrouve les jugements habituels, véhiculés depuis très longtemps, sur les syndicats « trop politisés » (77 %), ou sur le fait qu'ils ont une approche « trop idéologique » (69 %). Là encore, il y a un paradoxe entre une lecture a priori qui considère les syndicats comme inféodées à des clans politiques, et donc fortement clivés sur des bases politiques, et une lecture in vivo qui exprime l'illisibilité de ces clivages.

Les deux se résolvent finalement dans une double aspiration historique des salariés vis-à-vis des syndicats en France : d'une part l'unité, et d'autre part l'indépendance.

Une vision très nette et sans illusion de la pression patronale

Si une majorité de salariés estime qu'il n'y a pas un bon niveau de confiance entre syndicats et direction dans leur entreprise, condition d'un dialogue social effectivement apaisé, la responsabilité première en revient largement à la direction de l'entreprise, dont ils constatent (38 %) le manque de transparence.

D'une façon générale, d'ailleurs, si les entreprises jouent un rôle positif, pour les salariés, dans la création d'emplois (ce qui tombe sous le sens, puisque ce sont forcément elles qui emploient...), les organisations patronales arrivent bien en bas de la liste de ceux qui participent à ce retour à l'emploi (28 % des salariés), nettement en dessous des syndicats (36 %).

La peur des représailles est citée comme la principale raison de la sous-syndicalisation en France (30 %), refus global de s'engager mis à part.

De même, si une large majorité des salariés est favorable à des remises en cause des rémunérations et du temps de travail si leur entreprise est en difficulté, c'est avec des contreparties qui illustrent bien qu'ils ne se font aucune illusion sur les bonnes intentions patronales : 95 % demandent que les dirigeants et actionnaires voient aussi leurs rémunérations baisser, 91 % que ces remises en cause soient temporaires et revues si la situation de l'entreprise se redresse, 90 % que des garanties soient données en matière d'emploi.

On peut dire que cette enquête témoigne au final d'une conscience de classe diffuse, mais qui s'oppose au modèle idéologique libéral qui voudrait faire croire que salariés et patrons ont les mêmes intérêts dans la défense de « l'entreprise ». Les salariés gardent en tête que celle-ci reste un terrain de luttes constantes.

Déconnexion syndicale ou perte de repères du salariat ?

 Les syndicats apparaissent dans les négociations comme trop attachés à des questions de principe, mais au final pour une minorité de salariés (26 %).

Ils apparaissent surtout comme comprenant mal à la fois les besoins des salariés (54 %, sans évolution significative) et les réalités économiques (55 %). Sur ce dernier point, le jugement négatif s'est largement amplifié depuis 2010.

Cependant, les salariés interrogés peinent eux-mêmes à définir clairement ce qui devrait être l'objectif principal des syndicats (et donc le besoin premier des salariés) : si le retour à l'emploi des chômeurs arrive en tête, ce n'est que pour 22 % des sondés, soit guère plus que la défense des acquis sociaux (17 %) ou l'accompagnement des salariés (17 %). Cela témoigne d'une perte globale des repères face à une crise sociale qui met à mal le salariat par tous les biais possible.

Le manque de prise en compte des préoccupations des salariés apparaît cependant comme une raison importante (24 %) de la sous-syndicalisation. A noter que l'introduction de nouveaux items (notamment le fait que les salariés ne voient pas l'utilité de se syndiquer) a fait chuter ces réponses de près de 20 pts.

Par ailleurs, l'image que les syndicats donnent de leurs centres d'intérêts principaux est inversement proportionnel au contact des catégories concernées avec l'appareil syndical. Les salariés citent ainsi en tête (79 %) des intérêts défendus par les organisations les responsables syndicaux (ce qui interroge la perception des campagnes menées sur la défense des droits syndicaux, visiblement largement confondue avec la défense de l'appareil syndical), les salariés des grands groupes (69 %), du public (67 %), ceux qui ont un emploi stable (64 %) ; et on voit en fin de liste les retraités (26 %), les chômeurs (27 %). A noter cependant que la plus forte progression depuis l'enquête précédente concerne les jeunes (+ 9 pts, avec 42 %).

En revanche, l'avis sur leur efficacité est partagé, mais majoritairement favorable : efficaces pour 52 % des salariés, et inefficaces pour 41 %. L'appréciation de l'inefficacité est actuellement dans le haut d'une fourchette assez étroite (entre 35 % et 41 %, avec une pointe négative en 2008, où elle n'était que de 24 %).

On retrouve encore un des paradoxes de cette étude : d'une part les salariés attendent des syndicats de l'écoute, une « mise en phase » avec leurs attentes et une efficacité, mais semblent attendre des syndicats qu'ils puissent découvrir par eux-mêmes ces attentes, et qu'ils soient efficaces sans implication des salariés dans la lutte.

 

Adhésion à la politique contractuelle ou désillusion sur le rôle de l'Etat ?

 Dans la politique contractuelle, les salariés semblent attendre des syndicats plus de réalisme (29 %) et une meilleure coopération avec les directions des entreprises (28 %), soit plus qu'un surcroît de combativité (16 %). Au final, ce qui pèse c'est moins le manque d'action syndicale que la difficulté à faire aboutir les luttes qui est pointée.

Dans la réalisation de l'objectif de création d'emploi, l'Etat apparaît ainsi comme un acteur peu efficace (36 % des salariés estiment qu'il joue un rôle positif, soit autant que pour les syndicats). Le score s'effondre encore plus s'il s'agit d'évaluer le rôle de l'Union européenne (29 %) et celui des « décideurs politiques » (23 %).

Il y a ainsi un lourd discrédit de l'Etat et du politique dans la réponse aux attentes des salariés, qui semblent se retourner vers le local. Mais, si l'idée qu'il faut assouplir les règles sociales est majoritaire (50 %), le refus de tout assouplissement pour maintenir les acquis est aussi largement partagé (42 %), et l'écart entre les deux options se réduit légèrement.

Ce discrédit se retrouve lorsqu'est évoqué le niveau pertinent de définition des règles sociales : l'Etat n'est cité que par 13 % des salariés, avec même une chute notable par rapport à 2013 (- 6 pts).Il n'y a que pour la protection sociale que l'Etat apparaît comme devant être déterminant (44 %), pour tout le reste, l'entreprise est en tête.

Mais, au final, les syndicats apparaissent dans ce cadre comme des remparts à l'arbitraire patronal. Pour 75 % des salariés, toute remise en cause des acquis au niveau de l'entreprise (sous réserve de contreparties concernant l'emploi) suppose un accord majoritaire avec les syndicats.

 

La conclusion qu'on peut tirer de cette étude est donc là encore paradoxale : les salariés ont très majoritairement le sentiment du caractère indispensable du syndicalisme, même s'il est teinté d'une méfiance traditionnelle vis-à-vis de tout ce qui est institutionnalisé (méfiance qui ne date pas d'hier, si l'on a en tête les débats internes au syndicalisme d'il y a un siècle). En revanche, ils ne retrouvent pas dans les organisations actuelles, dans les formes d'action syndicale, les réponses à leurs attentes, tout en restant majoritairement passifs vis-à-vis des mobilisations et des organisations.

Il apparaît aussi qu'un levier sans doute efficace dans le changement d'attitude des salariés et d'image des syndicats se trouve dans la recherche nécessaire de l'unification syndicale sur la base de l'indépendance vis-à-vis d'un politique largement discrédité.

 

 

référence de l'étude : http://www.tns-sofres.com/etudes-et-points-de-vue/limage-des-syndicats-aupres-des-francais-2015

 

 

 

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27 octobre 2015

LAÏCITE ET LUTTE DE CLASSE

Longtemps passé au second plan du discours politique, reléguée au mieux à la stricte sphère scolaire, pour ne pas dire au terrain de l’affrontement entre deux systèmes, l’un public et l’autre privé avant que d’être confessionnel, la question laïque est désormais redevenue un des noeuds du débat public.

Noeud gordien tant il semble que, depuis les candidates voilées du NPA jusqu’aux assauts de rhétorique laïque de l’extrême-droite, le combat puisse se mener à front renversé.

L’extrême confusion du débat pèse sur ceux qui ont au quotidien à se confronter à ses implications pratiques, à commencer par les personnels de l’éducation nationale, dont la laïcité est un des piliers fondateurs, du moins historiquement, et le combat laïque un des ciments de l’identité professionnelle.

De l’exclusion pour intégrer jusqu’à la réglementation de la longueur des jupes, en passant par la composition des menus des cantines scolaires, le catalogue des micro-réponses au défi laïque d’aujourd’hui présente un triste paysage dans lequel le dérisoire voisine avec le pathétique.

Ce n’est sans doute qu’en replaçant le combat laïque dans son contexte, singulièrement français, en revenant sur son rôle complexe et déterminant dans la lutte de classes dans notre pays, qu’on peut tenter d’éclaircir cette question et redonner son sens à notre engagement pour la laïcité.


La Laïcité comme outil idéologique de la bourgeoisie française


La laïcité française trouve ses fondements théoriques dans la pensée des Lumières et dans l’oeuvre des premiers temps de la Révolution Française (Condorcet). Elle ne devient cependant un principe républicain à part entière qu’avec l’avènement de la république des républicains et son prolongement radical, entre 1880 et 1914.

La laïcité républicaine est d’abord une idée libérale. Elle repose sur une conception de la société comme un organisme où se côtoient des individus autonomes devant disposer des mêmes droits et être assujettis aux mêmes devoirs ; l’égalité devant la Loi, et dans la liberté de contracter, constitue à la fois l’objectif et la limite de la démocratie.

Ne pouvant ni nier, ni éradiquer, les différences culturelles, et donc religieuses, existant entre ces individus, la laïcité républicaine l’a renvoyée dans une “sphère privée” qui constitue la terra incognita de la République, qui ne veut rien en savoir : elle garantit la liberté de conscience sans reconnaître les religions, et donc une partie des effets de cette liberté.

A cette sphère privée qui est le monde de l’opinion et de la croyance, c’est à dire du collectif, la République laïque oppose une sphère publique qui est le domaine de la Raison, sublimée cependant par la Nation, seule communauté, seule entité collective, dans laquelle sont censés se retrouver l’ensemble des individus tous égaux de fait et de droit.

Cette construction théorique stable obéit aux mêmes logiques que celles qui conduisent à considérer qu’il n’y a pas de “prétendus intérêts communs” des salariés (Loi Le Chapelier, 1791) ou que les fonctionnaires, obéissant à la volonté nationale dont l’Etat républicain est l’expression, n’ont pas à formuler de revendication propres, ni sur leur situation, ni sur leurs métiers.

Comme l’ensemble de l’ordre républicain, qui estime que l’égalité politique est acquise par le suffrage universel sans se soucier des classes sociales accédant réellement aux mandats électifs, la laïcité est aussi un moyen d’assurer la domination politique de la classe dominante, la bourgeoisie, sur le reste de la société, et notamment sur le salariat.

Sa fonction première, cependant, celle qui explique son rôle dialectique dans l’établissement de la démocratie française, c’est de lutter contre l’emprise de l’Eglise catholique sur la société.

Contrairement à ce qui se passe au même moment dans l’Angleterre victorienne ou, dans une moindre mesure, dans l’Allemagne bismarckienne (où le protestantisme a servi de terrain d’entente entre classes antagonistes, c’est le kulturkampf), l’aristocratie et la bourgeoisie capitaliste n’ont pas, dans notre pays, fait cause commune avant le XXème siècle.

Cette dernière devait donc assurer sa suprématie politique, couper des masses l’Eglise catholique, soutien indéfectible de la monarchie et de l’aristocratie.

L’accès à l’instruction publique est un des moyens, économiquement coûteux dans un premier temps, mais politiquement redoutable, mis en oeuvre par laclasse capitalistepour sceller cette alliance de classes avec les masses populaires.

L’instruction de masse, faite d’ailleurs dans une logique ségrégative (aux pauvres “l’école de Jules Ferry”, aux bourgeois les lycées et le latin dès 10 ans), s'est aussi construites sur une mystique de la Nation, mêlant exaltation du génie technologique national, esprit colonialiste et culte de la “revanche”. Les valeurs républicaines, liberté, égalité, fraternité, à portée largement symbolique, forment le socle de cet esprit national éclairé et justifient la suprématie du système politique et de la civilisation français dont l'école exalte les mérites.

Laïcité ségrégative aussi dans la structuration genrée de la division du public et du privé : aux hommes le public, la parole, la Raison, le bureau de vote, aux femmes le privé, la famille, le “sentiment”, le catéchisme et l’Eglise le dimanche. La loi de 1905, qui achève juridiquement la laïcisation de l'Etat ne met ainsi pas fin à l'emprise cléricale sur la société : elle en préserve l'expression politique qui est réservée de facto à ceux qui détiennent déjà le pouvoir.

Ce n’est sans doute pas pour rien que le suffrage universel réel, et non pas seulement masculin, a été introduit si tardivement en France, au moment précisément où le catholicisme retrouvait, avec De Gaulle et le MRP, une place politique centrale.


L’appropriation de la laïcité par les classes populaires

Si l’on en était resté là, nul doute que la laïcité aurait achevé son rôle historique depuis longtemps et ne serait plus qu’un lointain souvenir, comme le kulturkampf, voire un résidu, dans l’avancée dialectique de l’Histoire.

Mais la particularité du combat laïque français fut son appropriation par les classes populaires en même temps que les progrès de la conscience de classe chez les travailleurs conduisaient la bourgeoisie à revoir son alliance conjoncturelle et à fusionner, par exemple dans le culte de Jeanne d’Arc, mystique catholique et mystique de la Nation, le sabre et le goupillon.

Redevenue défenseur non pas d’un ordre passé définitivement emporté par la Grande Guerre, mais d’un ordre présent dont le salariat mesurait de plus en plus combien il était fondé sur l’exploitation du travail, l’Eglise catholique put partir à la reconquête de son poids politique.

Son offensive fut tous azimuts : sociale (CFTC, 1919), morale (canonisation de Jeanne d’Arc, 1920), politique (création du MRP, 1944) et bien sûr, scolaire.

Les quarante années qui ont suivi la première guerre mondiale ont été celles du recul de la laïcité. A commencer par ce qui n’avança pas, comme le statut d’exception de l’Alsace et de la Moselle, promesse du parti radical que celui-ci ne mit pas en oeuvre lorsqu’il en eut la possibilité (notamment en 1924), jusqu’au financement par l’impôt d’un enseignement catholique dont le “caractère propre” fut reconnu (Loi Debré, 1959).

La laïcité n’était en effet appuyée par aucune force sociale majeure, tant elle représentait ce qui fut au coeur de la question de classes : la poursuite ou non de l’alliance objective entre le salariat et la bourgeoisie capitaliste contre l’aristocratie de l’Ancien Régime.

La bourgeoisie elle-même était divisée entre, pour simplifier, radicaux penchant vers la gauche et le salariat, et conservateurs refusant cette alliance.

Le salariat lui-même n’était pas moins divisé. La gauche socialiste avait d’ailleurs toujours été circonspecte sur la question laïque. Certes, on a beaucoup cité Jaurès disant que “le socialisme, c’est la république jusqu’au bout”, mais d’autres, moins relayés, partageaient les propos de Compère-Morel, au sujet de son électorat paysan : “On a toujours eu l’habitude de donner des curés à manger aux paysans. Moi, je leur ai parlé de leurs intérêts économiques.

La “main tendue” de Maurice Thorez aux catholiques, à la Libération, ne fut pas qu’une tactique ou un aveuglement face au caractère réactionnaire des positions de l’Eglise, mais aussi l’affirmation de la primauté du rapport de classes sur la culture et les croyances.

De fait, le combat laïc réapproprié par les classes populaires va changer de nature. A la laïcisation des institutions va succéder la sécularisation de la société.

Celle-ci prend une double forme.

La première, c’est l’aspiration à l’extension du domaine du service public, notamment en matière scolaire. A une laïcité conçue comme s’opposant à la main-mise idéologique de l’Eglise sur l’éducation succède une laïcité voulue comme un enseignement dans l’intérêt unique des élèves, de l’élévation du niveau de qualification de tous, d’une culture générale critique dans une école démocratique, qui ne serait pas gouvernée par l’intérêt économique unique du patronat.

La mise en place de la Sécurité sociale en est un autre exemple, qui fait passer le secours aux démunis dans le domaine public. Il ne s’agit plus pour ceux-ci de compter sur la morale et la charité chrétienne, mais bien de bénéficier d’une solidarité financée par le travail et gérée par les travailleurs : ils passent de l’aumône à la redistribution fondée sur la mise en commun d'une partie de la richesse produite, provoquant une remise en cause sur le fond de la domination sans limite du capital sur le travail.

La seconde est bien plus paradoxale, car elle correspond à une incroyable irruption de la sphère privée, voire de l’intime, dans le domaine public. Les femmes, exploitées parmi les exploités, luttent ainsi pour sortir de cette sphère privée dans laquelle elles étaient cantonnées, d’abord juridiquement, puis économiquement. C’est cette lutte qui permet la prise en compte politique des problématiques liées à la vie familiale et à la sexualité, qui relevaient jusque là d’autant plus du “privé” qu’elles masquaient l’utilisation du corps des femmes comme outil de leur subordination sociale.

Divorce, contraception, IVG, et jusqu'au mariage pour tous… autant de victoires s’opposant toujours à l’ordre moral catholique, mais aussi à l’ordre économique fondé sur l’exploitation et la discrimination entre les exploités que celui-ci justifie.

En rester à une théorique “classique” de la laïcité, disons “républicaine” pour ne pas dire bourgeoise, c’est tourner le dos au fait que, comme toujours lorsque la lutte de classe permet la réappropriation d’un concept par le salariat, c’est dans une démarche dialectique qui le transforme et en fait un outil d’émancipation sociale. C'est la différence qu'on peut poser entre laïcisation de l'Etat et sécularisation de la société.

Si le combat laïque mérite encore d’être mené, ce n’est pas pour revenir un “avant” fantasmé d’une laïcité réalisée qu’il suffirait de retrouver, mais bien comme un des aspects, lui-même complexe et multiforme, d’une lutte pour l’émancipation économique et politique des travailleurs.

C’est dans ce sens, et uniquement dans ce sens, que la laïcité peut continuer d’être une lutte d’avant-garde pour le mouvement social et le syndicalisme enseignant en particulier.


Forme(s) actuelle(s) de la question laïque


Depuis une vingtaine d’années, la question laïque a pris une forme nouvelle.

D’abord parce que l’Eglise catholique si elle n’a pas renoncé à intervenir dans le débat public (et n'en reste pas moins féroce pour préserver ce qu'elle a pu sauver, comme le démontre son attitude constante en Alsace et Moselle, notamment sur la question scolaire) semble d’une part se contenter de chercher à préserver l’état actuel du rapport de forces, et d’autre part avoir pris acte de l’élan de laïcisation-sécularisation de la société. S’il est toujours difficile à un divorcé de communier, il n’est pas rare qu’une professeur des écoles pacsée ou vivant en union libre enseigne dans une école privée sans subir de pressions insupportables. L’Eglise catholique s’estime aujourd’hui en terre de mission : l'activisme controversé du diocèse de Fréjus, souvent cité en exemple d'une « reconquête » pastorale, en est un des exemples les plus nets. Elle cherche à préserver ses intérêts économiques propres, et notamment son réseau scolaire, tout en sachant qu’elle n’est plus guère en mesure d’apporter un soutien de poids à la bourgeoisie qui dispose désormais d’appareils idéologiques bien plus puissants (mass media, appareil d’Etat, etc…).

C’est sans doute une des raisons qui expliquent qu’il est si difficile aujourd’hui de mobiliser pour la réalisation d’objectifs laïques qui pourtant peuvent facilement recevoir l’adhésion, depuis l’abrogation du délit de blasphème jusqu’à la fin du financement public des cultes ou de l’enseignement privé par l’Etat, pour peu qu’on les explique.

De fait, ces privilèges surannés ne témoignent plus d’un intérêt économique de classe, ou du moins, il n’y a pas d’intérêt de classe à y opposer clairement.


La deuxième, et sans doute la plus importante, de ces transformations de la question laïque est liée à l’émergence de l’islam.

Celle-ci est purement politique. Comme fait religieux et sociologique, la présence en France de musulmans est au final assez ancienne, plus d’un demi- siècle.

C’est donc en termes politiques qu’il faut l’appréhender. De ce point de vue, il n’y a aucune différence de fond entre l’attitude politique des musulmans et celle des “autres”, notamment catholiques.

Si l’analyse de l’évolution des rapports de classes serait évidemment trop longue à faire ici, ses grands traits en sont clairs : amenuisement progressif des capacités de lutte du salariat, disparition progressive de ses relais politiques, intensification de la lutte menée par le capital contre le travail, et recherche désespérée par les exploités d’une explication simple et d’une réponse politique simple à leur situation. Une conscience de classe confuse qui conduit à l’adoption de postures qui se saisissent des seuls outils idéologiques disponibles, parce que construits historiquement et produits comme dérivatifs de la lutte : la religion et ses formes “laïcisées”, identitaires ou nationalistes.

Comme le disait Marx, “La religion est le soupir de la créature opprimée, l'âme d'un monde sans coeur, comme elle est l'esprit de conditions sociales d'où l'esprit est exclu. Elle est l'opium du peuple.”

L’adhésion d’une part croissant du salariat à ces idéologies (« intégrismes » et fondamentalismes religieux, nationalisme, antisémitismes, idéologie « identitaire », etc...) est le fait marquant, et pas seulement à l’échelle française, de la période. Leurs apparentes oppositions de contenu ne résistent pas l’analyse politique qui fait apparaître leur identité de fonction : détourner le salariat de la lutte de classe, en lui fournissant une grille d’analyse politique qui substitue aux antagonismes de classes des oppositions culturelles. Au final, il s’agit toujours de monter les exploités les uns contre les autres.

C’est cette lecture qui permet de comprendre les paradoxes politiques de la période, qui sont si évidents qu’ils en deviennent invisibles. Comment une bourgeoisie dont les intérêts économiques sont désormais quasi intégralement mondialisés peut-elle avoir comme relais politiques des forces qui d’une part promeuvent un libéralisme forcené et libre-échangiste, et d’autre part exaltent une “identité nationale” excluante, la supériorité du prêtre sur l’instituteur et les valeurs chrétiennes ? Comment ne pas voir que derrière ce qu’on appelle avec facilité “l’islam radical” on trouve une stratégie visant à substituer à l’extrême variété des formes concrètes de manifestations de l’islam non pas une orthodoxie, mais une vision orthopraxique fondée sur la distinction entre “licite et illicite” qui caractérise le salafisme, diffusée grâce aux moyens colossaux dégagés notamment par la classe dirigeante de l’Arabie saoudite ? Autrement dit non pas une offensive religieuse, fondée sur des approches théologiques ou spirituelles (qui d'ailleurs sont forts différentes selon qu'on parle de l'islam chiite ou sunnite), mais une volonté politique de structurer une force sociale qui sera mise au service d'intérêts économiques ?

Cette opposition factice de “civilisations” est rendue plus facile encore par les scories du colonialisme. La mauvaise conscience du colonisateur défait est rassurée par la présentation de l’identité du colonisé comme celle d’un sauvage passéiste, violent, incapable de s’organiser selon les codes et les canons de l’occident capitaliste et de la société libérale. Les simagrées sarkoziennes sur la structuration juridique de “l’islam de France” n’avaient pas d’autre buts que de démontrer cette incapacité tout en laissant croire que c’est l’inorganisation qui produit le choix de formes violentes d’expression de l’identité. Le désir de revanche du colonisé, maintenu dans une forme d’exploitation économique patente, y compris lorsqu’il n’a plus aucun lien autre que religieux ou culturel, parfois plus fantasmé que réel, avec son pays d’origine, se matérialise dans la contestation de ce qui lui apparaît comme le fondement idéologique de son exploitation, la république et la démocratie.

Et tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes capitalistes possible.


Quelle laïcité de combat aujourd’hui ?


La détresse religieuse est, pour une part, l'expression de la détresse réelle et, pour une autre, la protestation contre la détresse réelle.” (Marx)

Toute tentative de lutte laïque qui se limiterait au domaine du rationnel, opposerait à des croyances et des postulats effectivement réactionnaires et condamnables, la clarté de la raison et la force d’une “morale laïque” serait vouée à l’échec, comme toute réponse idéaliste aux questions matérielles. On ne nourrit pas un ventre qui a faim avec des idées.

Elle serait d’autant plus inefficace, et même sans doute contre-productive, si elle se fait au nom de l’ordre établi, par le biais d’institutions qui le représentent, comme l’école.

C’est précisément le décalage entre le discours scolaire sur l’égalité de tous, ou “l’égalité des chances” et la réalité sociale et économique à laquelle les jeunes sont confrontés qui nourrit la défiance vis-à-vis des principes démocratiques dont notre laïcité est une des formes d’affirmation.

Le mythe d’une école idéale, fonctionnant hors sol, gouvernée par la seule Raison et permettant à tous de s’épanouir est la pire des illusions. Quand bien même elle réaliserait ce projet utopique, elle n’en serait pas moins confrontée à la réalité sociale dans laquelle elle prend racine. Raison pour laquelle, d’ailleurs, ce projet est totalement illusoire.

L’école est d’abord un outil de tri social. Elle est en passe de devenir aussi le lieu où se construit une nouvelle hiérarchisation des exploités, non plus seulement par le biais des différences de qualification et de possibilités d’insertion dans le monde du travail, mais aussi par celui de l’adhésion ou non à des valeurs utilisées pour fonder idéologiquement la reproduction des rapports de production. L’Ecole capitaliste doit rester un lieu d’exclusion, d’éviction avant tout, faute de quoi elle change de nature et devient une force de contestation de l'ordre établi.

En disant cela, on touche à ce qui constitue sans doute un problème majeur qui se pose à notre syndicalisme. Les enseignants, dans leur immense majorité, ne font pas ce métier pour jouer ce rôle de chiens de garde, encore moins pour contribuer à affaiblir le salariat, c’est-à-dire leur classe.

Ils ont l’intime conviction, justifiée, que c’est aussi dans l’application de la Raison et dans la maîtrise du savoir que l’individu, et plus particulièrement celui à qui la société ne demande ni l’un, ni l’autre, peut acquérir les moyens de se libérer de l’oppression et de l’exploitation.

Mais ils ne mesurent pas, ou plus, à quel point, dans la société capitaliste, l’école n’est pas faite pour cela. En faisant leur métier du mieux qu’ils le peuvent, souvent avec abnégation, ils s’enferment dans une conscience malheureuse qui les conduit à perdre le sens de leur travail, ou à refuser de remettre en question leur fonction sociale, et le plus souvent à se soumettre, malgré eux, sans le savoir, aux diktats de l’idéologie dominante. Combien de fois a-t-on entendu dire que les élèves “ne se donnent pas les moyens” de réussir ? Autrement dit que l’enseignant ne comprend pas pourquoi les jeunes n’adhèrent pas au savoir qu’il leur propose ?

C’est que les jeunes des classes populaires savent, réellement, parce qu’ils l’expérimentent, matériellement et non par l’esprit, quel est le rôle actuel de l’école : légitimer les inégalités sociales.

Dans ce contexte, la réponse “morale et civique” est sans issue : les jeunes qui se réfugient dans l’illusion d’une “radicalité” religieuse ne le font pas pour des raisons “morales” ou “civiques”, mais parce que cette illusion leur semble malheureusement moins fallacieuse que le discours qu’on leur tient.

Le syndicalisme enseignant a, là encore malgré lui, sa part de responsabilité dans cet état de faits. Il a pris pour habitude de confondre défense des enseignants et défense de l’institution scolaire, ou de ne plus suffisamment montrer que les intérêts des enseignants et ceux de l'institution ne sont pas toujours identiques. Mis face aux attaques constantes des forces sociales qui veulent éradiquer tout ce qui dans l’école est justement facteur de remise en cause de l’ordre établi, il a trop mis de côté la nécessité d’une critique radicale de la société, non pas théoriquement et en-dehors de l’école, mais concrètement, dans la fonction sociale de l’école. Il manque cruellement d'une approche dialectique de ce qu'est l'école et ce que sont les enseignants.

Faisant cela, il peine à obtenir l’adhésion des personnels à ses exigences de démocratisation, dont il ne montre plus assez qu’elles ont aussi pour but d’accentuer les contradictions de l’institution scolaire, démontrant qu’il ne peut y avoir d’école démocratique dans une société inégalitaire, mais aussi qu’il y a dans l’école, dans la conscience des enseignants, des moyens de lutter contre cette organisation sociale inégalitaire. L’école n’y parviendra pas seule, mais elle est le lieu stratégique où cette bataille peut et doit se mener.



Une laïcité de combat suppose de ne pas se tromper d’ennemi. Lutter pour la laïcité, c’est lutter contre l’illusion, sans oublier que cette illusion est une réponse une expérience concrète, qu’il serait vain de nier au nom de grands principes.

Nous avons besoin de refaire la démonstration qu’enseignants et jeunes des classes populaires sont du même côté dans les luttes qui structurent notre société. Pour cela, il faut aussi que nous revenions à une critique sociale de l’école qui donnera d’autant plus de force au combat laïque que nous mènerons.

Pour simplifier cela en une formule : relier laïcité et lutte de classe.

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